Sous le vent des îles

Grandir sur la route

Je dois bien faire une confidence : les interactions humaines n’ont jamais été mon fort. Ce n’est pas uniquement de la timidité, mais plutôt une préférence. Se débrouiller seul m’a toujours paru plus confortable (dans un premier temps en tous cas), et ce n’est pas une souffrance : la randonnée en solitaire par exemple, est une de mes activités préférées. Être entouré, quel que soit le contexte, me sortait donc immédiatement de cette zone de confort.Le résultat est que je ne demande de l’aide que lorsque c’est absolument nécessaire, et l’interaction devient davantage un moyen qu’une fin.

C’est quelque chose que je peux directement comparer au bivouac dans ce contexte : s’exercer à dormir dehors, dans le froid et sous la pluie, non pas par plaisir mais parce que c’est un moyen de voyager plus longtemps, de sauvegarder mes économies, et d’apprendre deux-trois choses au passage.

Et finalement, apprendre à discuter facilement avec des inconnus est aussi une façon de sortir de sa zone de confort, et donc de multiplier ses opportunités. Et sans surprise, et bien, ce n’est pas si terrible.
Le bivouac, comme l’interaction sociale, deviennent alors une fin, plutôt qu’un moyen. Et c’est quelque chose que j’allais apprendre de mes compagnons de voyage à leur insu. Notre petit trio (Alexia et Léo) débarqua donc du bateau de pêcheurs qui nous avait emmenés depuis Huahine, fit ses adieux à Pauline, et s’attela à préparer la suite en sirotant un café depuis l’une des confortables terrasses du port de Uturoa, sur l’île de Raiatea.
Nous avions prévu un point d’atterrissage dans une petite maison de location (l’un des avantages de voyager à plusieurs étant de pouvoir partager les frais de logement), et espérions notamment entrer en contact avec Esteban, un navigateur qui se trouvait dans les parages et que nous avions rencontré à Moorea alors que nous étions sur le navire de Malik.

Presque chez soi

Le plan était simple : rechercher un nouvel équipage à intégrer, tout en en profitant pour explorer l’île.

Raiatea est la capitale et la plus grande des îles sous-le-vent. Pour la parcourir, le bon vieil auto-stop s’avéra aussi pratique que sur Huahine.

Deux chiens roux se tiennent en amont d’un ruisseau dans une forêt tropicale dense
A la recherche d’une source que nous n’avons jamais trouvée..
Un jouet yacht semble échoué sue les étages d’un ruisseau
Hors-piste

Par le hasard d’un de ces trajets, nous rencontrâmes un jeune navigateur, professeur de yoga et de musique, qui nous invita à venir prendre un apéro avec les autres capitaines du port.

Parfait pour se mettre dans le bain !

Si nous avons passé une excellente soirée, il n’y avait en revanche pas de départs prévus pour aller explorer le reste de l’archipel. Mais nous aurons peut-être l’opportunité de naviguer à la journée pour nous faire la main comme à Moorea.

Vieille carte des îles de la Société
Nous sommes sur la plus grande des îles

Si je ne me renseigne sur des lieux que je visite généralement qu’une fois que je m’y trouve, deux atouts de Raiatea retinrent particulièrement mon attention : le Nordby, et la fleur ‘Apéthaï.

L’une est la plus grande épave sous-marine de Polynésie, et l’autre est une fleur rarissime.

Plongée sur le Nordby

En bon amateur de plongée, Léo et moi prîmes contact avec un des rares clubs encore ouvert malgré la pénurie de tourisme, dans l’espoir de jeter un coup d’oeil à l’épave qui dans le lagon par 30m de profondeur.

Et quelle épave !

Le NordBy est un trois-mâts métallique danois de la fin du XIXe siècle. Un beau bâtiment mesurant 53 mètres de long pour 8 mètres de large, qui a déjà sillonné toutes les mers du monde lorsqu’il arrive en Polynésie en 1900.

“Il transporte une importante cargaison qui, si elle n’est pas constituée d’or et d’argent, n’en reste pas moins précieuse : “111 tonnes de coprah (de la chair de noix de coco séchée destinée à produire de l’huile), des caisses de cuivre jaune, des barils de cire d’abeille, de balles de coton, de nacres, et d’écailles de tortue.’’ - Article de tahitiheritage

Il réussit sans encombre à entrer dans la baie de Tupua, encadrée par un récif acéré à l’image de nombreuses îles de la région.
Mais son ancre trop courte ne suffit pas à le retenir face aux vents violents, qui le traineront jusqu’à un tombant rocheux qui déchire la poupe du navire.

Le Nordby sombre lentement aux pieds de Raiatea, où il gît encore aujourd’hui.

Lorsque notre propre bateau arrive au dessus du lieu du naufrage, on ne distingue rien. Ce n’est pas uniquement à cause de la profondeur, la visibilité est mauvaise ce jour-là. Guidés par notre cheffe de palanquée, lampes torches à la main, nous descendons lentement jusqu’à ce que la silhouette du navire perdu se révèle finalement. C’est toujours un moment un peu particulier que de distinguer pour la première fois une épave dans les profondeurs, un peu comme si l’on rencontrait un fantôme.

Une plongeuse dans un couloir de poutres métalliques, braquant sa torche vers le haut
Que d’émotions !

Le NordBy est couché sur son flanc bâbord, et deux de ses trois mâts sont toujours en place. Nous en suivons un avant de revenir vers le pont, donc les planches de bois ont presque entièrement disparu, nous laissant le champs libre pour nous faufiler entre les poutres métalliques. L’atmosphère est fantomatique, et nous parcourons l’intérieur du navire de long en large, observant de nombreux poissons et autres habitants multicolores, balayant les surfaces métalliques du faisceau de nos lampes.

Faisceau de torche sur un poisson scorpion reposant sur une intersection de poutres métalliques Une des petites particularités du site est une bulle d’air piégée sous la partie haute de la coque, accumulée par les plongeurs. Un air vicié qu’il ne vaut mieux pas respirer longtemps, mais qui permet d’échanger quelques mots de vive voix par 25 mètres de profondeur ! A l’avant du navire, un énorme tas de chaine regorge désormais de faune sous-marine. Peut être que si elle avait été davantage déroulée à l’époque, les choses auraient été différentes.

Quoiqu’il en soit, ce fut une plongée mémorable. Explorer des vestiges ou des endroits abandonnés est une chose que j’aime particulièrement. Mais sous l’eau, cela prend tout de suite une nouvelle dimension, et s’accompagne souvent d’une histoire qui sert d’exposition.

Une fleur unique au monde

Et parlant d’histoire, c’est au tour de celle de la fleur d’apétahi, qui vaut elle-aussi le détour. Tout part d’une petite fleur de tiaré un peu spéciale. Elle pourrait être une élégante fleur blanche comme on en croise n’importe où, si elle n’avait pas la particularité de ne pousser que sur le plateau de Temehani, et nulle part ailleurs. Impossible de la transplanter à un autre endroit, y compris au sein même de l’île. Sans surprise, elle est devenue l’emblème de Raiatea.
Si cela pourrait suffire à lui donner son caractère légendaire, elle s’accompagne de son propre récit mythique dans la culture Polynésienne.

La vue depuis le plateau descend sur les différents bleus du lagon, sous une basse couverture nuageuse
C’est par ici qu’on la trouve

Dans toutes les versions de l’histoire, le ton n’est pas très joyeux : une magnifique jeune femme, épouse d’un pêcheur, part à la recherche de son mari qui n’est pas rentré depuis plusieurs jours. Elle grimpe sur la montagne en espérant l’apercevoir, mais sa réponse est toujours tragique : soit elle voit que son tane (homme) est en train de la tromper avec une autre, soit sa pirogue dérive en pleine mer, trahissant sa disparition.
Dans tous les cas, elle décide alors de se suicider en se tranchant l’avant-bras pour se vider de son sang.

En tombant, son membre se plante alors dans un trou, et deviendra plus tard une fleur blanche à cinq pétales comme les doigts d’une main.

Voilà un prétexte parfait pour une petite expédition ! Il nous faudra faire un long trajet en stop pour se rendre à un point de départ, l’île étant bien plus vaste que la précédente Huahine. Sans guide, le pari était risqué. Dans les îles, cela faisait plusieurs fois que nous nous rendions à un hypothétique point de départ, pour au final tourner en rond plusieurs heures dans la jungle sans réaliser que nous avions perdu le sentier. D’autant que souvent, le chemin est entièrement coupé par des terrains privés !

Mais pour cette randonnée-ci, nous devions avoir une bonne étoile ce jour-là.

Rejoins entre-temps par Nina, une voyageuse rencontrée à Huahine, nous entamons alors une ascension de quelques heures, guidés par une carte plus ou moins détaillée, qui sera récompensée par la vue d’un plant soigneusement encadré par une cage protectrice surmontée d’une petite caméra. Close-up de la fleur apetahi fleur unique aux longues feuilles épaisses et pointues, dotée de cinq pétal blancs et tombants

Si nous avions peur de passer à côté de la fleur sans la reconnaitre, outre sa forme caractéristique, un tel déploiement de précautions achève de dissiper nos doutes. Et pour couronner le tout, la vue est magnifique !

Pour s’auto-récompenser, nous passerons la soirée à boire des verres les pieds dans l’eau ! (Enfin, un seul, le coin n’est pas donné !)

Une jeune femme lit assise sur un banc, les pieds dans l’eau, devant le coucher de soleil

Ce seront au total deux semaines que nous passerons sur l’île.
Raiatea possède son propre charme dans des tons distincts de la petite (mais luxuriante) Huahine, . Nous avons fini par louer un véhicule pour en faire plus librement le tour, et explorer les côtes les plus éloignées d’Uturoa, la ville principale. Sur la route, en radonnée, et canoë, nous avons eu tout le temps d’explorer. Jusqu’à ce que finalement, nous retrouvâmes Esteban à un barbecue rassemblant les des capitaines de toutes les nationalités. Encore de bien intéressantes rencontres !

Nous convînmes d’embarquer quelques jours avec Esteban pour aller voir Tahaa, l’île voisine. Difficile d’envisager plus, son petit bateau bleu est très étroit, et même si Nina était repartie entre-temps, dormir à 4 à bord allait être compliqué !

Quelques jours plus tard, nous levons l’ancre malgré tout. Enfin la mer ! Tahaa n’est pas très loin, et si la traversée ne durera que quelques heures, le vent et la pluie s’allieront pour la rendre la plus longue possible. Barrer le navire ne sera en revanche pas un problème, les conditions étant loin d’égaler celles affrontées sur le Baladin ! (Ton navire restera longtemps ma référence en terme de défi, Nico@baladin_en_balade !) Nous jetterons l’ancre à proximité d’un des motus de la nouvelle île, en face d’un de ces hôtels de luxe iconiques avec des chambres sur pilotis. Un jardin de corail se trouve juste à côté. Même cadre, moindre frais !

Un homme et une femme à l’avant d’un voilier, les mains en visière, observent l’île de Bora-bora à l’horizon
Au loin, on apercoit même la légendaire Bora-bora

Nous passerons deux nuits sur le spot d’ancrage. La majeure partie des activités se trouve dans l’eau, évidemment.

Le jardin de corail est sublime : entre deux motus, un courant important traverse un véritable labyrinthe de coraux à fleur de surface, qui abritent une multitude de poissons de toutes les couleurs et toutes les tailles. L’idée est de le parcourir en se laissant porter par le courant, tout en prenant garde à ne pas se faire projeter contre une des parois acérées.

Un jardin de corail juste sous la surface
Un véritable jardin sous-marin
Le soir, Alexia et moi prenons quelques affaires, et débarquons sur le motu voisin de l’hôtel. Nous montons la tente sur la plage, et passons la nuit au bord du jardin de corail. On peut observer des bébés requins qui se promènent le long de la rive.
La seconde nuit, à la lueur de la frontale, je découpe des palmes de cocotiers à coup de machette en espérant rendre le sol plus confortable. Aussi efficace qu’un matelas gonflable !

Mais notre petit trio décide finalement de débarquer à Tahaa. La logistique quotidienne est compliquée sur un si petit navire, et cela favorise les désaccords (qui s’expriment en espagnol, tous trois étant bilingues, je passe à côté de l’essentiel, maldito !)

Une dernière péripétie nous rattrape toutefois au moment de lever l’ancre : le vent a fait tourner le bateau, et la chaîne s’est bloquée autour d’un rocher.

Heureusement, toutes ces heures passées en apnée finissent par payer ! Je me tracte le long de la chaîne jusqu’au fond, une dizaine de mètres plus bas, et parvient à la décoincer, battant sans aucun doute au passage mon propre record de durée.

Nous jetons à nouveau l’ancre à proximité des terres de Tahaa. Notre trio débarque, et fait ses adieux à Esteban.

La suite nous apparaît prometteuse, car à l’horizon s’élève la montagne caractéristique de notre prochain objectif :

Bora-Bora, la perle du pacifique.