Le Baladin
Nico et Jack à travers l’Atlantique Nord
C’est par un hasard extraordinaire que j’ai pu mettre un terme à un mois de vadrouilles en Islande en embarquant non pas dans un avion, mais à bord du Baladin, un fier Albin Ballad de 9m de longs qui recherchait des équipiers pour revenir sur le continent.
A défaut de volontaires expérimentés, difficiles à trouver en période de crise sanitaire, c’est sur le vagabond enthousiaste que le Cap’tain Nico dut se rabattre.
De Reykjavík aux Féroé
Après quelques jours de préparations, ravitaillement et autres planifications, nous sommes partis le jeudi 27 août au matin, direction les Féroé, vers lesquelles nous devions nous laisser guider tranquillement par un vent portant.
L’Atlantique Nord est connu pour être particulièrement capricieux, et la mauvaise saison était en approche, mais les moyens modernes rendent le voyage bien plus sûr qu’au temps des vikings.
Destination : Tvøroyri, petit port dans une baie de l’île la plus au sud de l’archipel des Féroé.
Quittant le port au moteur (à défaut de rames), le défi consistait à sortir de la baie de Reykjavík, où il n’y avait presque pas de vent. La première étape prévoyait environ trente heures de navigation jusqu’aux Îles Vestmanna au sud du pays, (sans pour autant y faire escale) pour profiter de la fenêtre météo. Moral à bloc, on aperçoit dans la baie des ailerons noirs qui font régulièrement surface. Difficile à dire s’il s’agit de petites baleines ou de gros dauphins. Finalement, on utilisera le moteur jusqu’à la pointe.
C’est une fois au large que les premières nausées se sont faites sentir. Pas vraiment étonnant, les premiers jours de ma précédente navigation avaient été inconfortables, mais comme il n’y avait rien eu tant qu’on était près des côtes, j’espérais être épargné pour cette fois. Tan pis !
La première journée fut donc assez compliquée. Ce petit voilier est assez spartiate, et tout ce que je parvenais à avaler allait nourrir les poissons quelques instants plus tard. Qu’importe, ça finirait sans doute par passer, et Cap’tain Nico savait comment maintenir le moral de l’équipage.
La nuit tombée, les émotions dues au mélange de fatigue et de mal de mer étaient inhabituellement fortes. Choisissant de prendre le premier quart, mes écouteurs seraient mes meilleurs amis. Une triple tâche de surveillance : assurer la bonne marche du navire, surveiller les lumières pouvant trahir la présence d’autres bateaux, et vérifier que le cap est bien maintenu. Pour cette dernière, c’est Hippolyte, ce bon vieux pilote automatique qui allait assurer la plus grosse partie du travail.
Mon corps et ma tête commençaient à peine à réaliser ce dans quoi je m’étais embarqué. La moindre musique familière me brûlait de nostalgie, et tout ce qui pouvait rappeler la terre me manquait. Nous étions pourtant partis depuis moins de 24 heures ! «Allons», me dis-je, «on s’habitue à tout, et ce crétin de cerveau va bien finir par accepter la situation et faire son job».
Il fallait donc choisir entre un cockpit paisible mais exposé au froid et au vent, ou une cabine plus abritée, mais où le mal de mer s’en donnait à cœur joie !
Heureusement, ce dernier inconfort allait diminuer avec le temps.
Nous nous sommes relayés toutes les deux heures cette nuit, et le ciel partiellement dégagé nous a même permis d’admirer quelques étoiles. Pas d’aurores boréales cette fois, mais ce ne sont pas les occasions qui allaient manquer !
Nous avons dépassé les Îles Vestmanna plus tôt que prévu, au matin. Cap’tain Nico avait vu juste en choisissant la fenêtre de traversée, et la position des voiles en ciseaux (génois d’un côté, grande voile de l’autre) permet d’attraper au mieux le vent arrière. L’autre avantage, c’est qu’en allant dans le sens des vagues, ces dernières, bien que hautes, nous donnent même un petit coup de pouce pour avancer.
Une bonne vitesse, un ciel pas trop couvert, un cap assuré, cette traversé s’annonçait comme une paisible croisière de quelques jours jusqu’à notre destination !
C’est dans ces conditions que s’est déroulée la seconde journée. La côte Islandaise n’était presque plus visible, et nos seuls compagnons étaient les oiseaux marins se promenant autour de nous avec une parfaite maîtrise du vol au raz des vagues (Sauf les macareux. Eux, ils les percutent). Soudain, notre regard fut attiré par des geysers en surface suivis de…
Pas de doute cette fois, ce sont bien des baleines !
A une vingtaine de mètres de notre embarcation, deux d’entre elles (une mère et son petit sans doute) remontaient régulièrement recracher de l’eau, avant de redescendre lentement dans toute leur majesté. Une fortuite, mais mémorable rencontre.
Tous les navigateurs vous le diront : en mer, à un moment ou un autre, il se passe toujours quelque chose d’imprévu.
Et notre petite expédition n’a pas fait exception.
Je suis réveillé en début soirée par des secousses et des rafales plus violentes qu’à l’accoutumée. Sur le pont Nico se débat avec un gouvernail qu’Hippolyte ne parvient plus à maintenir. Le vent a forcit d’un seul coup, et change brusquement de direction. Il faut réduire la voilure. Prenant le relais à la barre, je tente non sans mal de maintenir le cap à travers une mer soudainement agitée pendant que Nico part sur le pont tenter de défaire la bôme du génois.
Mais ce n’est pas tout : la balancine, la corde servant à soutenir la bôme de la grand voile s’est coincée dans un des phares du mât. Il n’est plus possible d’empanner la voile (la faire passer de l’autre côté ) pour virer de bord. Mon regard est soudain attrapé par une anomalie sur la grand voile. Secouée dans tous les sens, elle a commencé à se déchirer depuis le bord extérieur. L’affaler devient la nouvelle urgence, mais aux prises avec le génois, nous y parviendrons trop tard : la toile finit déchirée sur toute la largeur.
Sans rechange à bord, nous voici au large avec une seule voile. Sommes nous condamnés à regagner la côte Islandaise ?
«Pas la peine», affirme le capitaine, «la grande voile est complémentaire, elle nous aide à maintenir l’équilibre. Mais c’est le génois qui fait tout le travail».
De plus le vent nous pousse toujours dans la bonne direction (quand il est de bonne humeur), et puis, les Vikings faisaient bien la traversée avec une seule voile, non ?
Le voyage se poursuivra donc assez sereinement, sans grandes péripéties. La nuit, j’ai même pu observer quelques aurores boréales percer à travers les nuages. Nos quarts, désormais séparés en tranches de trois heures, nous permettaient de nous reposer assez pour tout en laissant le navire sous supervision constante.
Apprendre quelque chose de nouveau comme la science de la navigation, surtout quand on n’est pas dans son assiette, n’est pas tâche aisée. «Choquer l’écoute ? Ça veut dire quoi déjà ? Faut la resserrer ou la laisser filer ?» et «Abattre au vent, c’est s’en éloigner ou s’en rapprocher ? Les conséquences ne seront pas les mêmes, ça c’est sûr.»
C’est donc aux premières lueurs du cinquième jour, regardant à l’Est, que nous pûmes apercevoir la silhouette des îles Féroé.
La terre ! Enfin ! Bien qu’épuisés par le manque de sommeil (et de nourriture pour ma part, avaler quelque chose étant resté compliqué jusqu’au bout), voir enfin autre chose qu’un océan infini nous a redonné une terrible énergie !
Les falaises caractéristiques de l’archipel furent bientôt assez proches pour pouvoir en observer les couleurs et les nombreuses cavernes. Le vent remontant du sud, nous n’eûmes d’autre choix que de nous diriger au nord pour passer entre les îles.
Redémarrant le moteur pour lutter contre les courants marins, c’est le lundi, soir du cinquième jour nous avons finalement attaché nos amarres dans le port de Tvøroyri, sur lîle la plus au sud de l’archipel.
![Vue de Tvoroyri depuis les quais](tvoroyri.jpg ‘‘Un amarrage sans accrocs")
Quelques jours de répis avec des douches chaudes, des randonnées splendides, et des cafés cosys !
Les Féroé est un endroit magnifique. Même en revenant d’Islande, leur paysage est frappant.
Nous ne sommes malgré tout restés que cinq jours, le temps de récupérer, se ravitailler, et faire réparer la voile. Les habitants du ports se sont mis en quatre pour nous dépanner, même si le coût de racommodage s’est élevé à 3300 couronnes féroennes, soit 450€ !
Des Féroé aux Orcades
Si le plan initial était ensuite de mettre le cap sur la Norvège en passant par les îles Shetland, les prévisions météo et les marins locaux surent nous en dissuader. La saison commençait à être un peu trop tardive. Finalement pour nous rapprocher de la France, nous tenterons de rallier les Orcades. Ce groupe d’îles du nord de l’Ecosse se trouvait à un peu moins de deux jours de navigation.
Bien que la précédente traversée avait été éprouvante pour un novice de mon acabit, je brûlais d’envie de reprendre la mer. Un curieux paradoxe, comme le curieux tri dans les souvenirs à peine le pied posé à terre. Tout ce qui était négatif a été oublié !
Le samedi après midi, nous avons donc à nouveau largué les amarres et mis le cap en direction du sud sous un faible rayon de soleil. La difficulté consistait à trouver le timing pour passer au milieu d’une dépression qui remontait vers le nord. Cela signifiait partir avec un vent favorable qui allait diminuer jusqu’à disparaître complètement, avant de remonter progressivement en devenant de plus en plus violent. Si tout se passait bien, nous devions atteindre notre destination avant que les conditions ne deviennent trop mauvaises.
C’est peu de temps après avoir quitté avec regrets une Tvøroyri où nous avions été si bien accueillis, que nous avons eu droit à une mauvaise surprise : Hyppolyte, le pilote automatique ne voulait plus fonctionner correctement. Lui qui nous avait rendu tant de services pendant la première traversée, voilà qu’il ne parvenait désormais plus à maintenir un cap même dans de bonnes conditions. Plus le choix, il allait falloir faire sans. Cela signifiait que l’un de nous devait constamment tenir la barre et rester concentré, de jour comme de nuit. Une vraie chute du niveau de confort.
Adieu les phases contemplatives en musique sous les étoiles !
Heureusement, le voyage devait durer moins de deux jours cette fois-ci. Et comme consolation, le mal de mer ne s’est pas manifesté. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça change la donne ! Le calme et le soleil nous ont permis de faire une opération à cœur ouvert sur le pilote, qui est revenu à la vie pendant quinze secondes avant de nous abandonner à nouveau.
Le vent est tombé comme anticipé au milieu de la journée du lendemain. Ne pouvant nous permettre de perdre du temps, nous avons démarré le moteur pour maintenir l’allure. C’est dans la soirée que le souffle est revenu progressivement.
Pas de nuit tranquille cette fois-ci.
Tenir la barre demandait un véritable effort physique, et la gite du bateau ( son inclinaison ), nous faisait pratiquement passer de la position assise à debout !
Quand nous sommes arrivés en vue des terres le matin, nous n’étions pas au bout de nos peines. Il fallait être minutieux dans l’utilisation du peu de carburant qui restait, et le vent semblait tout faire pour nous empêcher de nous rapprocher.
Comble de l’exaspération, la grande voile se déchira une nouvelle fois.
Obligés de rallonger le trajet à force de changements de trajectoire, nous avons renoncé à atteindre le port que nous nous étions fixés pour nous rabattre sur Kirkwall. Quand enfin nous pûmes enfin entrer entre les îles, le courant favorable nous fit atteindre des reccords de vitesse !
Un répit bienvenu.
Il n’y avait plus qu’à entrer dans la baie…avec cette fois un vent contraire et un courant qui avait retourné sa veste. Les derniers miles nautiques se feront au moteur droit vert le port, voiles enroulées, à travers des vagues colossales. Derniers efforts à la barre, la perspective d’arrivée nous maintenait le moral entre les véritables sceaux d’eau que la mer nous jetait régulièrement . Pour réussi à viser une bouée malgré les vagues qui éclaboussent le visage, une seule solution : les lunettes de ski ! Comme il fut bon de poser le pied en terre écossaise ! C’est trempés et épuisés, mais heureux, que nous avons attachés nos amarres au quai de la marina de Kirkwall. Il était temps, il y a quelques réparations à faire, et la cabine a les pieds dans l’eau !
L’accueil fut également très chaleureux en Ecosse. Leesa, gardienne de la marina, nous a même mis en contact avec Mike, un marin écossait qui gardait dans son hangard une voile adaptée au Baladin. Voile qu’il a purement et simplement offerte à Nico !
Elle remplacera l’ancienne, déchirée et réparée de trop nombreuses fois.
Alors qu’on voyait son bateau coincé pour des semaines dans ces petites îles du nord de l’Ecosse, voilà que nous étions prêts à repartir le long de la côté deux jours seulement après notre arrivée. L’occasion d’une dernière traversée pour se rapprocher d’Edimbourg !
Des Orcades à Peterhead
Prochain objectif : Peterhead, à mi-chemin de la capitale. Ce devait être notre traversée la plus courte, et une promenade de santé comparé au dernier trajet. Les tentatives de réparation du pilote n’ont pas été fructueuses, mais ce n’est pas dramatique. Nous avons largué les amarres en fin de journée, et sommes ressortis de la baie dans un calme qui tranchait avec l’agitation de la traversée en sens inverse.
Cette nuit fut paisible, passée à écouter de la musique sous les étoiles, et à veiller à ne pas couper la trajectoire des quelques bateaux qui naviguaient dans le coin. A ce rythme, nous serons arrivés à temps pour dîner le lendemain. Aux quarts succèdent les discussions techniques ou philosophiques. Il faudra éviter une station pétrolière qui se dressait pile sur notre chemin (et qui ne se trouvait pas sur la carte).
Le cap est resté presque parfait, jusqu’en milieu d’après-midi : le vent nous éloigne trop des côtes. Il faudra continuer un peu, et virer de bord.
Mais d’heure en heure, le vent se lève toujours davantage. Et avec lui, les vagues s’en donnent à coeur joie.
Il y a comme un air de déjà-vu … en pire.
Heureusement, l’expérience des traversées précédentes rend les manoeuvres plus faciles et aide à rester stoïque, ce qui est loin d’être de trop. Le Baladin est malmené dans tous les sens. Tout ce qui n’est pas parfaitement fixé à l’intérieur est renversé à chaque changement de direction, se brise, ou se retrouve trempé. Pour couronner le tout, un des bidons de diesel fixés sur le pont (par mes soins je dois l’avouer) se détache et commence à fuir dans le cockpit, rendant le sol glissant.
Chaque mile pour se rapprocher des côtes est interminable, la gite du navire est toujours plus vertigineuse, et un courant contraire ralentit encore davantage notre progression.
C’est dans ces moments-là que l’on se découvre des réserves d’énergies qui paraissent inépuisables. Quand il n’y a pas le choix, il faut continuer ! On se retrouve même en proie à l’euphorie. C’est curieux, la condition humaine. Dans ce genre de conditions, le navire impressionne par sa solidité. Il subit des forces terribles et des pressions dans tous les sens, mais il tient bon. C’est une des caractéristiques de Albin Ballad. Nous devions arriver aux alentours de 20h, c’est à 3h du matin que nous sommes entrés discrètement dans la marina de Peterhead. Même humide, mon duvet n’a jamais été aussi confortable !
Cette dernière traversée aura conclu le voyage en beauté. Nous passeront quelques jours à profiter des pubs de la petite ville, puis j’ai fait mes adieux au Cap’tain Nico avant d’attraper un bus pour Édimbourg.
Que penser de cette aventure ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’avais pas réalisé dans quoi je mettais les pieds en embarquant. L’Atlantique nord à deux sur un voilier de 9m, c’est autre chose que du cabotage dans la méditerranée sur un 13m ! Mais passé un temps d’adaptation, ce périble a vraiment été extraordinaire. On en ressort avec un vif sentiment d’accomplissement, et une envie d’en découvrir toujours plus. La navigation permet de vivre des choses qui n’auraient pas été possibles autrement, et jusqu’à maintenant toutes mes expériences en mer auront été positives. Il ne me reste qu’à croiser les doigts pour que la prochaine se passe aussi bien !
Il ne me reste plus qu’à souhaiter bon vent au Baladin et à son capitaine, et à mettre le cap sur la prochaine aventure.
Peut-être nous recroiserons-nous sur les mers de ce monde !