Qu’est-ce qui définit l’aventure ?

En quoi peut-on dire qu’un périple est une «aventure», plutôt qu’un «voyage touristique» ?

Deux personnes qui visitent un même endroit peuvent le faire de très nombreuses manières. L’une peut s’offrir un séjour tous frais payés dans un hôtel de luxe et ne pas sortir sans guide, l’autre dors à la belle étoile en faisant du hors-piste.

Bien souvent, c’est le budget qui décide.

Personnellement, j’aime bien trouver un entre-deux. Lorsque l’on veut voyager sur le long terme, serrer les cordons de la bourse est généralement indispensable. Mais il n’est pas non plus nécessaire d’avoir mis une fortune de côté. Avec les bonnes méthodes, on peut aller très loin avec peu, y compris dans des endroits comme la Polynésie française où le coup de la vie est très élevé.
Cela dépend des objectifs du voyageur. S’il est pressé, s’il a peu de temps devant lui, il n’aura pas d’autre choix que de prendre le chemin le plus facile, le plus connu, et souvent, le plus onéreux. S’il a besoin d’un niveau de confort important, il choisira ce qui lui convient le mieux.

Mais s’il est prêt à guetter les opportunités, à réduire son niveau d’exigence, et s’il a l’énergie pour sortir de sa zone de confort, il pourra, avec un peu de chance, rester sur la route aussi longtemps qu’il le souhaite.

C’est aussi ce deuxième cas de figure qui est le plus à même de déclencher des événements imprévus, et de donner lieu à des «aventures».
Il s’agit donc d’un curseur à placer en fonction des aspirations, des envies, et du contexte. La différence entre l’aventure et le voyage touristique, c’est à mon sens son caractère unique. On ne peut pas la réserver en ligne, la recommander sur un site, ou donner une marche à suivre étape-par-étape. Il y a généralement une bonne dose d’improvisation, et jamais quelqu’un d’autre ne pourra expérimenter exactement la même chose.
Et si l’on peut volontairement se mettre dans des situations où l’on peut s’attendre à rencontrer des péripéties, on ne peut jamais exactement prévoir quoi.

Voilà, à mon sens, ce qu’est l’aventure.
C’est ce dont on se souvient avec le plus de détails, et ce sont les récits que retiendront ceux avec qui on les partage.

Voici donc le second chapitre des vadrouilles sous les cocotiers, où j’essaie de retranscrire les péripéties les plus marquantes

Huahine, l’île des imprévus.

Nous étions donc Alexia, Léandro, et moi-même de retour sur le sable de Moorea sans aucune idée de comment procéder pour la suite.

Sans capitaine, il fallait quand même trouver un moyen de rejoindre Huahine. Finalement (et cela devait devenir une habitude), c’est Léandro qui dénicha la solution. Il prit contact avec un membre du club de pilotage de Tahiti, qui se proposa de nous déposer pour alimenter ses heures de vol. Il n’y avait qu’à se répartir le prix de la location de l’appareil.

A défaut de navire, nous prendrons les airs !

L’avion-stop

Nous devions, Léo, le pilote et moi, décoller le surlendemain. Comme l’avion était bien trop petit pour nous transporter tous les quatre en plus des sacs, Alexia, qui avait quelque chose à régler de son côté, devait nous rejoindre une semaine plus tard.

Je me retrouvais donc très tôt le matin venu, à patienter avec El Leandritto dans un aéroport minuscule et désert.
Lorsqu’arriva le pilote, que nous appelleront «Mr. P» , nous découvrîmes sur le tarmac ce qui devait être notre moyen de transport : un minuscule oiseau de métal, tout droit sorti d’un film d’aventures old-school à la Indiana Jones !

Un petit avion à trois places sur une piste au pieds de montagnes tropicales
Crédit photo à Léandritto

Grimpant sur l’aile pour m’installer à bord, je pris la place du co-pilote en face d’un tableau de bord tout sauf intuitif. Quelques échanges radio, et nous décollons en souplesse !

Pour sa taille, la stabilité de l’appareil est surprenante.

Les superbes dessins que forment les plages et motus de Moorea forment en dessous de nous finissent par s’éloigner, et nous nous retrouvons au dessus de l’océan, cap droit sur l’île de Huahine que l’on ne distingue pas encore à l’horizon. Ce que nous devions mettre 24 heures à parcourir en voilier, nous le ferons en une !

Comme le temps était dégagé, et le cap assuré, Mr P me proposa de … prendre les commandes !

C’est non sans un peu d’appréhension que j’attrapais le demi-volan situé devant moi. A gauche, à droit… en haut, en bas…

Vue de l’intérieur du cockpit d’un petit avion
Le même gouvernail qu’un navire …!

L’appareil réagit à la moindre impulsion, et les sensations sont similaires à celles que donne la barre d’un navire.

(D’ailleurs, ce n’est pas le seul point commun que les deux moyens de transport partagent : le même phénomène de dépression (l’air atteignant une vitesse plus élevée d’un côté ou de l’autre d’un “panneau”) maintient les avions en l’air et “tire” la voile d’un navire lorsqu’il remonte au vent. C’est la raison pour laquelle le dessus des ailes des avions est courbé : l’air passant plus vite sur cette face, il tire l’avion vers le haut, comme il tire la voile du navire dans le sens où elle gonfle.)

Je venais donc de faire mon baptême de pilotage ! Mais Mr. P reprit tout de même les commandes en approchant de l’île, l’atterrissage nécessitant une autre expertise que celle du vol en ligne droite par temps dégagé.

Nous atterrissons donc sur la piste minuscule de Huahine, et après avoir fait nos adieux au pilote, Léandro et moi quittons l’aéroport par une porte dérobée de la caserne de pompiers. Ni vus ni connus, nous venions de passer d’une île à l’autre sans s’être enregistrés nulle part.

Une bouffée d’air frais dans un monde de surveillance permanente !

L’île des femmes

Un petit trajet en stop nous amène rapidement à ce que les habitants appellent “la Ville”, une poignée de rues et de bâtiments où se trouvait l’auberge où nous poserons nos sacs. Nous avions devant nous quelques jours pour explorer l’île en attendant notre équipière. Depuis les quais, on pouvait apercevoir la montagne de “La femme allongée”, un relief dont la forme rappelait effectivement la silhouette d’une femme couchée sur le dos, les seins pointés vers le ciel et les cheveux tombant dans la mer.

Les montagnes de Huahine
La femme enceinte

Notre arrivée sur Huahine fut le moment que choisit mon corps pour développer une de ces infections tropicales contre lesquelles on nous avait si souvent mis en garde.
Une minuscule ampoule que je m’étais faite au pouce à force de pagayer (entre V’aa et paddle sur Moorea), s’est mise à gonfler et devenir très douloureuse, transformant à terme ma main en un grotesque ballon de baudruche.

Fort heureusement, une double dose d’antibiotiques prescrite par la médecin de l’île m’évitèrent de justesse l’évacuation sanitaire.

Huahine est une île magnifique, avec un charme distinct de celui de Moorea ou Tahiti. Elle est en fait composée de deux îles très proches, reliées par un pont. Un cas unique en Polynésie.

Une plage de Huahine

Une baie visible au delà de la végétation
Un lieu qui donnerait des idées à R.L. Stevenson

Son histoire récente est marqué par des ouragans, qui ont réduit en pièce une grande partie des hôtels de luxe qui s’y étaient établis. Au bord de la mer ou dans la jungle, on peut encore tomber sur les témoins de ces anciennes activités : ruines de pontons qui émergent encore de la mer, piscine désaffectée, fondations, ou sculptures de décoration couvertes par la végétation.

Vue d’une baie rapprochée
Deux îles sont rattachées par un pont
Une piscine désaffectée entourée de palmiers
Une piscine à deux pas de l’eau turquoise ?
Un hall d’hôtel désaffecté avec l’emprunte d’une main sur un pilier
Cet hôtel a connu des jours meilleurs
Depuis la côte, on peut apercevoir Raiatea, la plus grande des îles de l’archipel “Sous le Vent” : Le soleil se couche sur Raiatea à l’horizon

Nous avons exploré les fonds marins, traversé l’île en stop en grimpant à l’arrière des pick-up qui s’arrêtaient pour nous, visité des marae, ces sites archéologiques qui servaient autrefois de lieux rituels et de forums.

En passant dans le village de Faie, nous pûmes contempler les anguilles sacrées qui occupent le ruisseau depuis toujours :

D’énormes anguilles aux yeux bleus sortent la tête de leur abri

Préservées et choyées par les habitants, ces colossales anguilles aux yeux bleus sont un gage de prospérité et d’abondance dans la mythologie polynésienne. Amateurs de randonnées et de points de vues, nous avons emprunté quelques sentiers qui nous ont offert des perspectives magnifiques sur la mer et le reste de l’île. Mais de ce côté-là, le meilleur devait rester à venir.

Des motus en contrebas

Rivière à travers la jungle

Un établi pour l’extraction des perles des huîtres
Le processus est…intéressant.

La mer tout en nuances de bleu
La mer tout en nuances de bleu

Nous avons aussi fait quelques belles rencontres, dont certaines plus que mémorables. Des habitants et d’autres voyageurs partagèrent avec nous plusieurs soirées fantastiques, jouant aux énigmes et buvant de la bière, et nous avons fait la connaissance de la plupart des jeunes de l’île en jouant aux cartes sous un préau tapissé de margouillats.

En un rien de temps, nous eûmes l’impression d’avoir rencontré et bu avec le village tout entier.

Un coq et deux chats surveillent des buveurs en terrasse
Pleins d’espoir

Une autre de ces rencontres mémorables fut Siki, le gardien de la plage “cachée” (qui ne l’était pas vraiment) de Hana-iti.

La plage secrète

Nous parvînmes à trouver le chemin à travers la forêt, tout en nous perdant une fois ou deux malgré les indications de nos hôtes, et à descendre sur la plage.

Hana-iti est une grande et sublime plage de sable blanc à laquelle on ne peut accéder qu’à pieds ou en bateau, à condition de déjà savoir où elle se trouve.

Elle est gardée et entretenue par Siki, un personnage haut en couleurs et assez singulier. La première fois que nous sommes allés jusqu’à Hana-iti, il nous parla de sa vie, de ses rencontres, et nous fit partager sa vision du monde très…personnelle.

En apprenant que nous étions séparés de notre équipière, il nous invita à revenir le voir avec elle pour partager un repas local. Marché conclu !

Lorsqu’enfin Alexia nous retrouva sur l’île, nous retournâmes à Hana-iti (sans nous perdre cette fois-ci).
Siki nous avait demandé de venir tôt, et nous allions vite comprendre pourquoi. Ce simple repas en bord de plage allait rapidement se transformer en péripétie. Première tâche, construire un feu pour cuire le Uru, un fruit de la taille d’une pastèque, cueilli sur l’arbre du même nom et surnommé “arbre à pain”.
Un fruit fantastique, qu’il fallait cuire plus d’une heure même au cœur de la fournaise. Le fruit de l’arbre à pain porte bien son surnom.

Bien cuit, un seul Uru suffit à fournir l’accompagnement d’un repas pour 4 personnes. Sa chair me fait un peu penser à de la pomme de terre, et sa neutralité permet de s’en servir avec n’importe quoi. Comme du pain !

En m’enfonçant dans la forêt à la recherche de combustible, je tombai (à ma plus grande joie) sur de nouvelles ruines d’hôtel presque invisibles parmi la végétation. On devinait encore des bassins richement décorés, les restes de ce qui devait être l’intérieur d’une cour, et les traces de bâtiments techniques à même le flan de montagne.
Alexia et Siki allèrent pendant ce temps récolter des feuilles de cocotiers, qu’ils tressèrent pour faire des plats. Puis nous nous attelâmes arracher la bourre de quelques noix de coco en les plantant sur un pieu fixé dans le sol.

Un éperon servant à râper la chaire de noix de coco
Une râpe à coco

Des noix et feuilles de cocotier sur une table de banbous
L’arrière-cuisine

Libérées de leur gaine il nous restait à les ouvrir et en râper la chair grâce à un éperon fixé à une planche, sur laquelle on s’assoit pour la maintenir en place. Puis toute cette coco râpée fut pressée à l’intérieur d’un tissus torsadé pour en extraire le lait, qui allait servir à parfumer le pain préparé par Siki

Pain qu’il fallut ensuite défendre contre les volailles sauvages pendant qu’il reposait, avant de pouvoir le cuire directement sur le feu. Pendant la cuisson, Siki nous autorisa à utiliser son Va’a pour parcourir la baie, et profiter d’une nouvelle perspective sur la plage.

Un v’aa au bord de la plage
Quelques coups de pagaie pour ne pas perdre la main !

Quand tous les préparatifs furent terminés, nous rajoutâmes des cuisses de poulet sur le feu, et le festin fut prêt. De longues heures de travail, mais dont le jeu valait largement la chandelle. En dehors de la farine et de la viande, nous avions tout récupéré sur place, y compris les plats.

Des cuisses de poulet grillé, du pain coco et de la chair de uru dans des plats de feuilles de cocotier tressées
Quel festin !

Repus, et après avoir échangé davantage de philosophie et de prophéties, nous nous séparâmes de Siki en le remerciant chaleureusement.

Encore un épisode que nous n’étions pas prêts d’oublier !

Mais un dernier défi allait nous permettre de clôturer notre visite de l’île des femmes : le nez de la montagne.

L’ascension

Durant les quelques jours passés dans le dortoir du village, nous avions sympathisé avec Pauline, la fille de la gérante de l’établissement. Connaissant l’île comme sa poche, elle avait proposé de nous guider au sommet de la hauteur qui, vue d’en bas, faisait penser au nez de la femme enceinte. Nous allions effectivement avoir besoin de Pauline pour trouver le chemin, car celui-ci… n’existait pas. Sa mère nous transporta dans la benne de son pickup (une habitude solide désormais), et nous déposa au plus près qu’il était possible d’accéder en véhicule. Puis nous commençâmes une longue ascension dans la jungle, glissant, rampant parfois sous la végétation, jusqu’à atteindre les premières roches indiquant la proximité du sommet.

Après quelques sentiers à flanc de montagne, et une courte ascension à l’aide de cordes fixées par des âmes charitables, nous pûmes profiter d’une ultime vue de l’île à couper le souffle.

Huahine vue depuis les hauteurs Une jeune femme coiffée d’une couronne de fleurs roses vue de dos devant un panorama

Nous en profitâmes autant que le restant du jour pu nous le permettre, mais malgré une descente hâtive, la nuit tombée nous força à rentrer à pieds jusqu’à la “ville”.

Cette nuit devait être la dernière que nous passerions sur l’île de Huahine, car nous avions rendez-vous aux aurores avec un pêcheur qui devrait nous emmener avec quelques habitants à bord de son speedboat en direction de Raiatea, la plus grande des îles de l’archipel Sous le Vent.

Prochaine étape

Nous étions arrivés sous les radars, et nous repartirions sous les radars ! … au prix de quelques secousses et éclaboussures.

Au fur et à mesure que l’aube progressait, Raiatea devint de plus en plus distincte à l’horizon tandis que Huahine rétrécissait en emportant avec elle le souvenir d’une aventure qui, bien qu’elle n’avait qu’en tout duré moins de deux semaines, nous avait parut très intense.

Le lever de soleil sur Huahine vu depuis l’arrière d’un speedboat
Adieu Huahine
Raiatea vue depuis un speedboat
Bonjour Raiatea !

Et nous n’en étions toujours qu’au début de notre périple.